Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Alice à la menthe
Alice à la menthe
Publicité
Archives
Alice à la menthe
Pages
Visiteurs
Depuis la création 38 999
11 mai 2013

Rue Aristide Briand

J'ai beaucoup déménagé, avec mes parents, puis seule. De tous ces lieux, il  reste de nombreux souvenirs, quelques photos et des échos de ma voix.

Cela fait 10 ans que l'appartement de mamie Mauricia- mon arrière-grand-mère maternelle-, a été vendu après son décès en 2003 . Elle a été pour moi une grand-mère tout court, puisqu'elle n'avait que 61 ans à ma naissance.

Son  appartement fréjussien a été le théâtre de mes vacances, bébé, enfant, adolescente. Si je devais garder un  lieu qui a marqué ma vie, ce serait celui-ci.

C'est un immeuble du sud entièrement ouvert, avec son escalier extérieur en colimaçon, qui laissait apparaître de loin les visiteurs. Le palier où nous jouiions enfants, mon frère et moi, où les femmes tricotaient et discutaient le soir, dans la chaleur lourde des soirées méditerranénennes. Les spirales vertes anti moustiques brûlaient régulièrement sur un meuble du salon. Le matin c'était souvent la séance "flitox" (Fly-tox) vaporisé à grands renforts de piston. A l'époque, on ne parlait guère de couche d'ozone, ni de composants toxiques, et nos poumons devaient déguster. Un rideau de perles masquait la porte, souvent ouverte en journée. La petite cuisine avait un large placard en bois encastré, dans le bas duquel se tenaient les sirops d'orgeat, de menthe ou de fraise dont les enfants se désaltéraient sous leurs serviettes de plage-tentes-cabanes édifiées sur le palier. D'adorables et minuscules  pots de safran rouges posés sur une étagère faisaient mon admiration. Ils cotoyaient un dévidoir de ficelle dont j'aurais aimé tirer toute la longueur d'un coup, comme j'ai toujours eu envie de presser la totalité d'un tube de dentifrice Colgate tricolore dans le lavabo.

La salle à manger était la pièce maîtresse de l'appartement.  Le midi, lorsque nous rentrions affamés de la plage, Mamie Mauricia nous attendait avec une pissaladière. Nous passions des heures autour de la table, le soir, l'été, à regarder le programme en cours, Intervilles ou Jeux sans frontières, ou bien un film. Je me souviens de Vipère au Poing,  Aujourd'hui Madame, Au nom de la loi, des histoires de Pierre Bellamarre. Le matin, nous écoutions plutôt  RMC-Radio Monte Carlo et son jingle éponyme entêtant. La table ovale, les chaises  au dossier haut et dur, le skaï qui collait un peu à la peau nue à cause de la chaleur. Les journaux, Paris Match, Jours de France,  Nice Matin, lus et relus au fil des étés. Le mariage du prince Charles et de lady Diana sur des dizaines de pages, m'avait fasciné  .Quand je m'ennuyais l'été, à 19 ans, le dernier été où je suis venue contre mon gré, avec mon frère, on regardait les clips sur M6. Tandem de Vanessa Paradis et Pas assez de Toi de la Mano Negra passaient en boucle . Ce n'était plus la même chose, alors, la vie nous appelait hors de ces murs. La même table, les mêmes chaises, la même télé, pourtant. En arrivant des Yvelines, après tant d'heures de trajet malgré la voiture luxueuse et puissante, je me souviens des petits apéritifs, Marsala ou Porto, servis dans la collection de verres du buffet bas. On venait de Paris, autant dire le bout du monde. Un jour, la voisine, Charlotte Courrieu, qui avait honte de son prénom alors si démodé,  nous avait parlé du décalage horaire qui devait tant nous fatiguer. Les biscuits bretons ronds du goûter, un peu durs, très beurrés étaient toujours appréciés. Des indicateurs meteo venus de Vallauris, de petits animaux ou objets bleus quand le temps était beau et qui devenaient roses voire violets quand l'orage ou la pluie approchaient. Ils étaient l'objet de conversations soucieuses et animées. La chambre de Mamie se distinguait pas son ordre immuable de vieille dame. J'avais parfois le droit de jouer avec la travailleuse remplie de boutons, qui m'émerveillait. Un petit arbre en étain dont chaque feuille contenait une vieille photo de Pampé, de moi,  de mes frères et soeurs, de ma mère, de mes tantes et de mes cousins trônait sur la commode. Je l'ai récupéré après la mort de Mamie, il traîne en petits bouts chez moi, une feuille par ci, une feuille par là, une feuille par moi. Il n'a jamais trouvé sa place dans  mes affaires parce qu'il occupait tout, et surtout la place qu'il n'aurait jamais dû quitter. Un petit poste radio Optalix sur la table de nuit, j'ignore si elle l'écoutait souvent. La salle de bains et les toilettes, d'où on entendait toutes les conversations du palier, parfois banales et parfois celles que l'on ne devait pas entendre. Le meuble blanc au dessus du lavabo, qui contenait un flacon d'eau de Rochas et des tubes de rouge à lèvres rosés de vieille dame. Ces meubles au dessus des lavabos se perdent et c'est dommage : c'est tellement agréable de découvrir indiscrètement leur contenu, ils renseignent autant qu'une bibliothèque.  Le salon où nous dormions mon frère et moi, les deux petites boites d'un baptême oublié, dans quel état devaient être les dragées. Le lourd canapé en ferraille que nous dépliions le soir. La chambre du fond, un peu mystérieuse, celle des parents. Un filet à crevettes accroché derrière la porte, même petite, je me demandais ce qu'il faisait là, au bord de la Méditerranée. . Dans la chambre-du-fond, à laquelle on accédait via le salon, on trouvait des jeux dans la table de nuit. Des jeux des années 60, petits livres et babioles enfantines d'une autre époque, qui ne m'intéressaient pas vraiment, mais que j'aurais été déçue de ne pas trouver d'une année l'autre, et qui me parlaient d'autres enfants d'une autre époque, peut-être ma tante Christine, née en 1964, peut-être d'autres, je ne sais pas. Un peu comme le baril de lessive empli de cadeaux Bonux, que l'on allait solennellement chercher à un moment ou un autre de l'été, des tréfonds du cellier. Un secrétaire et des objets de papeterie surannés que je n'ai jamais vus utilisés, mais qui faisaient mon admiration. Je les contemplais respectueusement, les mains dans le dos, même quand l'enfance s'était enfuie. La  glace de l'armoire où l'on se mirait Maman et moi avec les vetements achetés sur le port à Saint-Tropez.

Pour se garer sur le parking, il y avait une simple chaîne que l'on baissait et relevait au gré des déplacement de la voiture. "Tu as mis la chaîne?". Ce rituel, mille fois répété.

 De ce petit appartement me vient sans doute mon goût pour la chaleur, le soleil, de ce que j'appelle le vrai été, ce goût des soirées languissantes et moites que je partage avec le père de mes enfants, qui porte un nom italien. Nous n'envisageons pas de passer nos étés dans une région où le thermomètre tombe en dessous des 30 degrés. Nous nous sommes connus entre Barcelone et Montpellier, nos résidences respectives d'alors. Un jour, si c'est possible, nous repartirons.

Ces souvenirs ne sont pas ce qui ont été, mais ce qu'il me reste. J'ai beaucoup déménagé, je déménagerai encore. Pourtant, ou justement à cause de cela, le socle de mon enfance tient dans ce petit appartement du Var, rue Aristide Briand, avec son nom basque sur la boîte aux lettres. Mindéguia.  Toujours au même endroit. J'avais trois mois lorsque je suis venue la première fois.  Il y a 4 ans, je suis retournée sur le palier, en haut, rendre visite à Yvette, la voisine nonagénaire bon pied bon oeil. Elle m'avait enlevé le soleil avec une bassine d'eau et des incantations, il y a longtemps. Ce jour de mai 2009, elle nous a offert un Porto. Je lui ai présenté mon fils Augustin, âgé de 3 mois, et mon compagnon. J'ai fondu en larmes en bas de l'escalier. Mamie Louisette ma grand-mère -la mère de Mamie Mauricia-, était bien ennuyée ; elle me disait que je n'aurais pas du venir. Elle est morte l'année d'après, en 2010. Je ne regrette pas cette ultime visite. mais je n'irai plus. A quoi bon, avec qui, pour quoi ? De toutes façons, je crois qu'il y a maintenant un code pour entrer.

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Que de souvenirs qui remontent à la surface avec cette évocation de Saint Roch...
Publicité