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Alice à la menthe
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Alice à la menthe
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9 avril 2011

Julie

J'ai savouré la journée du 27 octobre 2010 auprès de mon petit Gaspard, au calme dans ma chambre d'hôpital. On a tellement besoin d'intimité après un accouchement. On m'avait prévenue que j'étais en chambre double et que celle-ci pouvait se remplir. Vers 20h, une jeune femme est entrée avec son bébé tout neuf et son mari. J'ai eu envie de pleurer, de dépit et de fatigue. Ils entraient dans ma bulle, et je leur en voulais, bien qu'ils n'y soient pour rien. Ils échangeaient à voix basse, conscients de ma présence et sans doute aussi gênés par celle-ci que je l'étais de la leur. Il était tard, le papa du bébé est vite parti. Au début, je lui ai peu parlé, elle ne m'a pas beaucoup parlé non plus, et puis, nous avons bien été obligées de communiquer. C'est elle qui venait de s'imposer dans mon espace, elle le savait, et j'ai décidé d'être gentille. Deux femmes qui viennent d'accoucher, réunies dans une petite chambre, avec leurs bébés respectifs. Une intimité non décidée, non voulue. Les premières heures, nous nous sommes confondues en politesses réciproques, faisant montre de notre bonne éducation : nous voulions déranger le moins possible. Nous avions à peu près le même âge, notre arrondissement était voisin, nous n'allaitions ni l'une ni l'autre.  Une fille pour elle, un fils pour moi, des enfants plus grands qui nous attendaient à la maison. Les douleurs post-accouchements et les maux divers qui nous ont assaillies nous ont rapprochées, balayant toute pudeur. Au fil des trois jours que nous avons passé ensemble, nous sommes devenues intimes, tout en gardant une certaine distance -surtout elle, moins chaleureuse que moi. La fatigue, les biberons nocturnes, les crises de larmes dues aux chutes d'hormones et au grand bouleversement que nous venions de subir, les douleurs des tranchées qui nous empêchaient de dormir ont eu raison de nos dernières résistances. "Tu veux ma crème ? " "Tu as mal ?" "On sonne l'infirmière ?" "Il t'a donné du Doliprane ?" "Il ne veut pas que je prenne du Spasfon, mais j'en ai apporté avec moi." Nous étions deux fillettes au pensionnat, hurlant de rire quand elle a renversé sa soupe fade par terre sans faire exprès -acte manqué. Nous avons vitupéré après l'aide -soignante qui ouvrait les rideaux à 7h du mat, sans égard pour nos nourrissons. La grande fatigue aidant, nous nous sommes confiées nos vies, des choses de plus en plus personnelles, assises en tailleur durant les repas, étendues sur nos lits durant les biberons. Attendre, parler, s'occuper des petits, il n'y avait rien d'autre à faire. La vie entre parenthèses. Nous nous sommes prêtées des produits de toilette, nous avons partagé nos impressions sur nos désagréments intimes. Nous avons ri jaune de certains gestes invasifs de l'après-accouchement. Elle était là quand Augustin rendait visite à son petit frère, J'étais là encore lorsque ses enfants ont découvert leur petite soeur. Je suis partie avant elle, son bébé avait la jaunisse, elle devait rester un jour de plus, deux peut-être. Elle pleurait, car durant ces trois jours, nous n'avions qu'une envie : rentrer chez nous, tant il était impossible de se reposer. On s'est fait la bise avant de se séparer. Il me reste quelques photos que je ne peux pas lui envoyer, car j'ai perdu l'e-mail qu'elle m'avait donné. C'est bien ainsi. Nous avons vécu ensemble des moments parmi les plus forts de notre vie et nous ne nous reverrons plus. De toutes façons, je ne l'aurais pas choisie comme amie. Mais nos enfants sont nés le même jour et je pense parfois à elle. Bon vent, sois heureuse avec ta petite famille, Julie.
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